La communication proposée prend appui sur une lecture de l'ouvrage publié récemment par Jon Roffe, Abstract Market Theory(2015). Ce livre constitue en effet un hapax en ce qu'il propose une approche résolument philosophique du marché financier, en posant la question : « qu'est-ce que le marché ? ». Et force est de constater qu'en dépit de son apparente simplicité, cette question n'est que très rarement posée : elle s'illustre même le plus souvent par son absence, notamment dans les textes produits par les participants de marché (les régulateurs au premier chef), qui presque jamais ne prennent la peine de définir cet objet qui occupe une place fondamentale dans leur activité, que ce soit comme support d'une activité de constitution (marché primaire) ou d'intermédiation (marché secondaire), ou encore comme support d'une activité normative (activité de régulation).
A travers une argumentation nuancée, dont je ne peux rendre compte ici avec suffisamment de détails, Jon Roffe propose de concevoir le marché comme l'inconscient des sociétés et sociabilités capitalistes : l'inconscient, c'est-à-dire cela même qui n'est pas (ou plus) pensé, mais bien présent en ce qu'il organise, par la temporalité spécifique qu'il déploie, sa contingence propre (Roffe, 2015, p. 147). Au-delà des approches alternatives de la théorie financière (théorie hétérodoxe, études sociales de la finance), il s'agira pour nous de prendre au sérieux la proposition formulée par Jon Roffe, et de voir en quoi celle-ci permet d'éclairer la régulation financière telle qu'elle se fait, mais peut-être davantage encore telle qu'elle se conçoit.
Nous engagerons la discussion avec les textes philosophiques mobilisés par Jon Roffe, spécifiquement les essais d'Elie Ayache (2010, 2015), qui remettent en cause la théorie financière standard depuis une focale autobiographique et philosophique, et renouvellent une pensée du marché comme lieu de la contingence, remettant en cause les approches probabilistes dominantes. Plus spécifiquement, nous discuterons deux grandes distinctions que l'on trouve dans les travaux de Deleuze : celle de la singularité et de la répétition (qui permet de formaliser une pensée de l'événement), celle la loi et de l'institution (qui permet de formaliser ce qui se joue dans l'acte de régulation). Nous tenterons, à partir de cette confrontation aux textes, de souligner quelques-unes des tensions qui gouvernent en sous-main la pratique de la régulation financière : en premier lieu l'inadéquation de la notion de régulation telle que celle-ci se trouve mobilisée aujourd'hui par les régulateurs aux situations de régulation auxquelles les participants de marché se trouvent confrontés.