Les taux de chômage féminin et masculin ont partiellement convergé pendant la crise, en France et dans de nombreux pays européens (Gilles, 2013). Cette convergence s'est faite non par le biais d'une baisse du taux de chômage des femmes mais via la hausse de celui des hommes, ces derniers étant plus présents dans le secteur industriel davantage touché par la crise. La convergence des taux de chômage n'a pas signifié pour autant une disparition des inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail et elle illustre au contraire les limites de cet indicateur pour comprendre la diversité des situations sur le marché du travail.
Si l'Union Européenne, dans les objectifs assignés aux pays membres dans la stratégie Europe 2020, se réfère davantage au taux d'emploi, le taux de chômage constitue l'indicateur du marché du travail le plus utilisé dans le débat public, au niveau national lorsqu'il s'agit de commenter la santé du marché du travail et son évolution, mais aussi au niveau européen, lorsqu'il s'agit de comparer les performances des pays entre eux.
L'objectif de ce travail est donc de montrer comment les indicateurs du marché du travail les plus utilisés et commentés, et en particulier le taux de chômage, donnent une vision très partielle de l'hétérogénéité des situations individuelles. De surcroît, les limites de ces indicateurs pour refléter les réalités et les transformations à l'œuvre sur le marché du travail apparaissent de manière encore plus marquée lorsqu'il s'agit d'étudier les situations comparées de femmes et des hommes (Maruani, 2002). Le développement massif du temps partiel féminin dans certains pays européens (notamment l'Allemagne) ou encore la persistance de taux de chômage élevés couplée à des modèles d'emploi plus traditionnels dans certains pays du Sud tend en effet à renforcer la présence des femmes dans des catégories intermédiaires (temps partiel de durée plus ou moins courte, halo du chômage...).
S'appuyant sur le Labour Force Survey européen et une méthodologie existante (Guergoat-Larivière and Lemière, 2018), cet article construit pour quelques pays de l'UE, un « continuum » de situations d'emploi, allant de l'emploi à temps complet jusqu'à l'inactivité la plus stricte, en passant par l'emploi à temps partiel de durée plus ou moins longue, le chômage au sens du BIT et le halo du chômage. La construction de ce continuum permet de montrer comment une répartition très différente dans les différents états peut conduire à un taux de chômage identique. Des logits multinomiaux sont ensuite réalisés afin de calculer les écarts de probabilités prédites de se trouver dans les différents états pour les hommes et les femmes. Les calculs sont réalisés globalement puis selon le niveau de diplôme et la présence de jeunes enfants.
Cette analyse empirique donne à voir que l'apparente convergence des situations des hommes et des femmes sur le marché du travail reflétée dans leurs taux de chômage est intrinsèquement liée au choix de l'indicateur. Elle rappelle ainsi la dimension politique des indicateurs statistiques (Lebaron, 2011, Desrosières, 2014). L'usage des indicateurs conditionnant grandement les choix de politique publique, leur pertinence ne doit donc cesser d'être questionnée, en particulier lorsque l'on s'intéresse à la situation des femmes sur le marché du travail.