Si l'importance des leviers fiscaux de la philanthropie dans la mise en place d'un « Etat social caché » (Howard 1997) est désormais bien identifiée et si la contribution des dépenses fiscales (ces recettes auxquelles l'Etat renonce pour encourager les contribuables à adopter certains comportements) à un processus de redistribution sociale inversée (vers les plus hauts segments de la hiérarchie sociale) a été bien souligné (Reich 2006 ; Burman et al. 2008 ; Laskowski & Havens 2011 ; Fack, Landais, Myczkowski 2018), les chercheurs semblent en avoir en revanche porté une faible attention à la manière dont ces « dépenses » contribuent, au sein même de l'appareil d'Etat, à bousculer les hiérarchies existantes, en redistribuant les cartes de la répartition des ressources fiscales. On se propose ainsi, en prenant pour terrain d'enquête les incitations liées aux dons effectués par des particuliers ou des entreprises au titre du mécénat artistique et culturel en France (art. 200, art. 238 bis, 0A et AB, art. 885 O-Vbis du CGI), de montrer de quelle façon elles permettent à des ministères réputés « dépensiers » (en l'occurrence, celui de la Culture), en ces temps de rationalisation budgétaire, de pouvoir récupérer, pour le compte de leurs établissements, de précieuses ressources (via les déductions fiscales offertes à leurs donateurs). On verra, à cette occasion, que la captation de ces dépenses fiscales au profit d'opérateurs étatiques – l'Etat venant indirectement, par le jeu des déductions, à « récompenser » les donateurs gratifiant ses propres établissements – contribue paradoxalement à drainer vers les établissements culturels déjà les mieux dotés des dons plutôt censés profiter, comme le donne à penser le terme ennoblissant de « mécénat », aux acteurs les moins pourvus de ressources.