Une des conséquences de l'explosion, les 12, 14 et 15 mars 2011, de trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, suivie de la fusion de leur cœur, réside dans le retour sur la scène académique aussi bien que politique de la communication du risque.
Selon Covello (1992:359) la communication du risque constitue à la fois un outil et un processus visant à : rendre une audience capable de comprendre et d'intérioriser des messages relatifs à un risque ; promouvoir des attitudes et des actions afin d'alerter ou de répondre à un risque spécifique ; faciliter l'élaboration d'un consensus et d'une résolution collaborative face au problème donné.
Du côté académique, la communication du risque dans le contexte de Fukushima fait l'objet de travaux visant soit à en exprimer positivement, souvent de manière doctrinaire, les principes, soit à la critiquer, principalement pour lui reprocher de contribuer à la constitution d'un corpus de recommandations considérant que le public est ignorant et qu'il devra bien finir par accepter la situation.
Sans négliger le bien fondé de ces analyses critiques, notre approche consiste à passer la communication du risque au crible de la notion de production d'ignorance. En quoi la communication du risque s'inscrit-elle dans un processus de production d'ignorance ? Pourquoi une telle démarche et un tel recours à la notion de production d'ignorance ? Quels en sont les apports du point de vue de l'économie politique du nucléaire ?
Les analyses existantes ne permettent d'appréhender ni le rôle ni la dimension institutionnelle de la production d'ignorance et passent à côté du caractère systémique de cette production, tout comme elles passent à côté de l'anti-épistémologie à laquelle la production d'ignorance ressortit (Galison, 2008) : comment la connaissance peut être dissimulée et perdue ? Aucune théorie de la connaissance effective et publique, et aucune compréhension de la manière dont les institutions réglementaires du nucléaire contribuent à la production du savoir et de l'ignorance, ne sont possibles sans la prise en considération de ces deux dimensions (Boudia et Jas, 2014).
C'est pourquoi, je propose de contribuer à une économie politique du consentement, en montrant que la production d'ignorance constitue l'infrastructure épistémique du nouvel esprit du nucléarisme, dont l'une des matérialisations sociales est le développement des technologies du consentement - la communication du risque faisant partie de ces technologies - et dont la principale visée est la résolution de l'aporie de l'évacuation en situation d'accident nucléaire.
Le cadre conceptuel que je mobilise pour rendre compte de la production d'ignorance est celui de la sociologie politique de la science (Frickel & Edwards, 2014).
Les matériaux empiriques auxquels mobilisés sont constitués d'entretiens menés au Japon entre 2011 et 2017 ; des actes de conférence, des publications et de la littérature issus de différentes sources japonaises et internationales.