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International Conference - Lille, France (3-5 July 2019)

Envisioning the Economy of the Future, and the Future of Political Economy

L'énergie dans l'économie d'hier et de demain : une mise en perspective historique des travaux en comptabilité de la croissance
Quentin Couix  1@  
1 : Centre d'économie de la Sorbonne  (CES)
Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, Université Paris1-Panthéon-Sorbonne

Dans les années 1970, divers événements, tels que le premier choc pétrolier, ont poussé les économistes à s'intéresser davantage au rôle de l'énergie dans l'économie. Pour ce faire, certains se sont appuyés sur la théorie de la croissance néoclassique et plus particulièrement sur son versant empirique appelé "comptabilité de la croissance". Leur démarche consistait à intégrer une variable d'énergie dans la fonction de production néoclassique et à estimer sa contribution à la croissance économique passée à partir des données (Berndt et Wood 1975, Jorgenson 1978). Ces études concluent à une faible contribution, mais cette conclusion n'est pas tant le fait d'une évidence empirique, que d'un présupposé théorique. Elle provient de l'égalité supposée entre la rémunération de chaque facteur et sa productivité marginale, conséquence du comportement maximisateur des producteurs. Sous le nom de cost-share theorem, cet argument conduit donc à penser que l'élasticité de production de l'énergie est égale à sa part dans le PIB, soit de l'ordre de 5 %. L'énergie n'aurait donc pas été un facteur de production important dans le passé, et ne représenterait pas un enjeu prioritaire pour l'avenir.

C'est contre cette conclusion que va se construire dès les années 80 une littérature alternative (Kümmel 1982, 1989). D'un point de vue conceptuel, ces travaux s'inscrivent dans une vision davantage physique du processus économique, inspirée par les travaux antérieurs de Georgescu-Roegen (1971) sur les relations entre économie et thermodynamique. Sur le plan analytique, cependant, ils restent dans le cadre des fonctions de production. Ils suggèrent simplement une fonction LINEX différente des fonctions habituelles (Cobb-Douglas, CES) et proposent d'autres méthodes empiriques pour évaluer la contribution de l'énergie à la croissance. Le cost-share theorem devient alors la cible principale des critiques, qui entendent remettre en question sa légitimité théorique en introduisant des contraintes techniques dans la procédure de maximisation, mais sans remettre celle-ci en cause. En parallèle, des raffinements théoriques et empiriques s'appuient sur la thermodynamique pour mieux rendre compte de la contribution effective de l'énergie aux processus des production (Ayres et Warr 2005, 2010).

Cet article propose de mettre en perspective ces différents travaux. Il retrace tout d'abord la généalogie de l'approche standard de comptabilité de la croissance appliquée à l'énergie, et montre en particulier comment elle s'inscrit dans la continuité des questions soulevées par le modèle de croissance néoclassique. Dans un second temps, il souligne les tensions qui caractérisent la tentative de contrer les conclusions de l'approche standard tout en restant dans le cadre de la théorie néoclassique. Cette démarche apparaît comme une médiation entre une conception physique de la production et le formalisme des fonctions de production. En ce sens, elle marque un tournant par rapport à l'approche thermodynamique initialement promue par Georgescu-Roegen, qui proposait une rupture nette avec la théorie néoclassique de la production et un cadre alternatif, le modèle "flux-fonds" (Georgescu-Roegen 1970). Mais elle tourne également le dos à une tradition critique envers les estimations empiriques de fonctions de production agrégées (Felipe et McCombie 2013).


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