En France, le sens commun associe la fonction publique au modèle de marché interne (Doeringer et Piore, 1971), auquel on accède par des ports d'entrée bien identifiés juste après la fin de ses études, pour y faire carrière toute sa vie suivant une progression dont le rythme est prévu par des dispositions réglementaires. C'est en tous cas dans ce sens qu'abondent les travaux économiques déjà datés (Audier, 1997 ; Parent et al., 2003). Or, les statistiques diffusées chaque année par la DGAFP dressent un tableau très différent de cet idéal-type : accroissement de l'âge moyen au recrutement par les concours externes et division par deux du nombre de recrutements de fonctionnaires par cette voie entre 2002 et 2012 ; proportion de plus en plus importante de contractuels déjà employés par l'État parmi les lauréats de ces concours. Ces données documentent aussi la constance de la part d'agents non titulaires parmi les effectifs de l'État (Peyrin, 2018), ainsi que la persistance de leur jeunesse relativement aux fonctionnaires (Bodiguel, 1999 ; Ruiz, 2013). Si les agents hors statut ont toujours été présents dans la fonction publique (Magaud, 1974 ; Siwek-Pouydesseau, 1976), le cadre législatif des modalités d'emploi des contractuels de droit public s'est transformé en dix ans. L'État employeur a la possibilité de transformer les CDD de droit public en CDI depuis 2005, et même de recruter directement en CDI depuis 2012. Il est donc désormais possible d'avoir un emploi stable dans la fonction publique sans avoir le statut de fonctionnaire. Autrement dit, deux formes de régulation de l'emploi et des carrières coexistent aujourd'hui dans la fonction publique de l'État, permettant aux employeurs publics qui en relèvent de pratiquer une segmentation interne de leur main d'œuvre (Gazier, 1992 ; Valette, 2007). Ceux-ci ne s'en privent pas : en 2015, 65% des entrants étaient des contractuels sur le champ des trois fonctions publiques (Ba et Duval, 2017).
Dans ce contexte, un jeune des années 2010 peut-il encore espérer être directement recruté comme fonctionnaire par l'État ? Ou bien les CDD sont-ils devenus la principale voie d'accès à l'emploi titulaire ? Que deviennent les contractuels qui quittent l'État après quelques mois ou quelques années ?
Pour répondre à ces questions et éclairer la situation des jeunes générations au regard des précédentes, il faut disposer de données longitudinales récoltées sur plusieurs cohortes d'agents publics. Le Panel tous salariés de l'Insee permet d'observer finement différents types de mobilités sur une population représentative depuis 1988, date d'entrée de l'Etat dans le panel et jusqu'en 2013. Cette profondeur historique permet de retracer des parcours sur longue période, mais surtout de comparer les trajectoires professionnelles de différentes cohortes, afin d'évaluer les perspectives d'accès à l'emploi public titulaire d'une génération à l'autre. Enfin, le champ du panel rend possible l'exploration des mobilités entrantes et sortantes dans la fonction publique de l'État.
L'originalité de cette communication est ainsi de tirer parti de la richesse des données du panel Tous salariés de l'Insee et ainsi d'éclairer les trajectoires professionnelles des jeunes passant par le secteur public.