Au mois d'avril 2018 sont arrivés en banlieue de Toulouse les premiers tubes destinés à la piste d'essai provisoire du centre de recherche européen d'Hyperloop. La société californienne promet à brève échéance des voyages terrestres à près de 1000 km/h, dans des capsules évaluant dans un environnement sous vide qui mettraient la capitale occitane à 45 minutes de Paris. En dépit des incertitudes techniques qui subsistent, la construction des premières lignes est annoncée d'ici une décennie en Europe. En attendant cet éventuel concurrent, les projets de ligne à grande vitesse continuent à se développer dans l'hexagone, à des échéances variables selon les scénarios de financement (Duron 2018), tout comme les projets d'extension d'aéroports (c'est notamment le cas à Nice, Lyon, Toulouse, Marseille et Nantes) et les nouveaux projets autoroutiers (Libeskind 2018).
La construction de grandes infrastructures de transport se poursuit ainsi, malgré les appels répétés à prioriser l'entretien des équipements existants ou les transports urbains (Duron 2018), et en dépit de leurs coûts élevés qui engagent fortement la collectivité. Nous nous interrogerons dans notre communication sur la persistance de ces politiques publiques en essayant de comprendre pourquoi, au nom de quelles justifications, de quelles forces motrices, ces équipements, que nous considérerons comme des institutions sociales, existent et sont construits aujourd'hui. Nous utiliserons pour cela les travaux de Cornelius Castoriadis sur l'imaginaire social. Selon lui l'imaginaire effectif des sociétés se donne à voir dans les institutions qui sont « un réseau symbolique, socialement sanctionné, où se combinent en proportions et en relations variables une composante fonctionnelle et une composante imaginaire.» (Castoriadis 2006, 198) Ce sont ces composantes fonctionnelles et imaginaires des grandes infrastructures de transport que nous allons tenter d'identifier et d'analyser.
Deux formes de justification des projets d'infrastructures de transport sont usuellement mobilisées par les acteurs défendant ces constructions : le gain de temps et le développement économique. Nous verrons que l'imaginaire contenu dans ces deux arguments peut être abordé à travers les notions de besoin et de symbole. Nous commencerons ainsi par analyser le besoin de mobilité avant de voir pourquoi les infrastructures de transports sont perçues comme des symboles du développement économique. La troisième partie sera consacrée à tirer les enseignements de ces analyses et de les confronter à la question de la transition écologique
Castoriadis, Cornelius. 2006. L'institution imaginaire de la société. Paris, France: Éditions du Seuil.
Duron, Philippe. 2018. « Mobilités du quotidien : répondre aux urgences et préparer l'avenir ». Conseil d'orientation des infrastructures.
Grisoni, Anahita, Julien Milanesi, Jérôme Pélenc, et Léa Sébastien. 2018. Résister aux grands projets inutiles et imposés. De Notre-Dame-des-Landes à Bure - Des plumes dans le goudron. Textuel.
Libeskind, Jérôme. 2018. « La relance du programme autoroutier français est-elle une bonne nouvelle ? - Les Echos », 16 août 2018.
Rosa, Hartmut Auteur. 2013. Accélération: une critique sociale du temps : suivi d'un entretien avec l'auteur. Traduit par Didier Renault. Paris, France: La Découverte.