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International Conference - Lille, France (3-5 July 2019)

Envisioning the Economy of the Future, and the Future of Political Economy

Papers > By author > Alary Pierre

Le travail salarié est-il pensable sans une forme de monnaie ?
Pierre Alary  1@  
1 : CLERSE UMR 8019  (CLERSE)
Université Lille I - Sciences et technologies

Le salariat résulte d'une configuration institutionnelle qui s'établit, en Europe occidentale, à partir de la révolution industrielle. De nombreuses institutions activent les mécanismes d'acceptation du travail salarié parmi lesquelles figure la monnaie, une monnaie destinée à l'évaluation des choses.

Le salariat est une forme de travail singulière, consubstantielle à la division sociale du travail, qui constitue la pierre angulaire du capitalisme. Le salarial s'inscrit en rupture avec les visions du travail propres aux sociétés : de production domestique, féodales, etc. où les sujets travaillent avant tout pour produire la nourriture qu'ils consomment. En dehors des impôts, des corvées, de la vie contemplative, leur travail est directement équivalent à des biens et c'est précisément cette vision du travail que la monnaie étudiée transforme. Les sujets ne cherchent plus à produire les biens qu'ils consomment, ils travaillent pour un salaire. Ils visent une somme monétaire dans la mesure où, par la suite, elle offre un droit sur la production des autres et ainsi un accès aux biens qu'ils ne produisent plus. La monnaie construit des liens sociaux stables et durables pour échanger du travail et se procurer des marchandises et, parce qu'ils sont stables et durables, le travail devient un objet d'échange, un élément de la reproduction sociale. La monnaie valide les liens sociaux essentiels aux transferts de travail mais elle donne également corps à des représentations nécessaires à la relation salariée. En effet, pour produire du pain par exemple, comment additionner des heures de travail, de l'énergie en kwh, de la farine en tonnes, de l'eau en litres, etc. ? Ces unités sont différentes et sans l'unité de compte homogénéisant la valeur des facteurs de production, il serait impossible de les sommer. Avec l'unité de compte monétaire des grandeurs (coûts et recettes) deviennent effectives, elles ont un sens social et, mises en relief, elles donnent le profit, l'aiguillon du capitalisme. Ainsi, la monnaie offre un cadre cohérent à l'épanouissement d'un régime politique dans lequel le travail est un coût et, dans ce contexte, le travailleur estime vendre son travail. Il juge alors normal que l'acheteur « utilise » cette marchandise et ce mécanisme naturalise la relation de subordination spécifique au salariat. En d'autres termes, le travailleur juge normal que la force de travail vendue ne lui appartienne pas. Elle revient à l'acheteur qui façonne et organise « sa » marchandise travail en fonction de ses intérêts (Marglin 1974). Une forme de monnaie offre un cadre à cet ensemble de représentations qui légitime la subordination du travailleur. «Capitalism is the organisation of society by and for money” (Hart 2017, p 15).

 

HART, K., (2017). Money in a Human Economy. New York, Berghahn.

MARGLIN, S., 1974. “What Do Bosses Do? The origins and functions of hierarchy in capitalist production, Part I.” The Review of Radical Political Economics 6 (2): 60-112.

 


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