Papers > By author > Abel Mathilde

En janvier 2018, le groupe Amazon est devenu, devant Microsoft, la première capitalisation boursière États-unienne. Cette place de marché – une plateforme numérique - a ainsi dépassé les groupes « traditionnels » de l'économie numérique. Qualifiées parfois d'organisations « hybrides » (entre hiérarchie et marché, Sundararajan, 2012), les plateformes numériques invitent à réfléchir à de nouvelles approches de la gouvernance d'entreprise et poussent à des innovations conceptuelles pour appréhender la distribution des pouvoirs dans des relations économiques et commerciales qui ne sont plus des relations de gré à gré mais, a minima, triangulaires. Elles nous conduisent plus généralement à comprendre ce qui a changé dans les règles de fonctionnement de cette (nouvelle) économie de marché désignée parfois comme « capitalisme de plateforme », (Srnicek, 2018). Depuis les analyses industrielles pionnières de Rochet et Tirole sur les marchés bifaces et multifaces (2003), la plateforme est l'objet de nombreuses recherches en sciences économiques et de gestion (Boudreau & Hagiu, 2009 ; Tiwana & alii, 2010 ; Tiwana, 2013 ; Choudary, 2015 ; Evans & Schmalensee, 2016 ; Benavent, 2016 ; Srnicek, Ibid). Qu'il s'agisse de construire des typologies, d'analyser l'émergence de nombreux modèles d'affaires ou les reconfigurations des chaînes de valeurs et leurs impacts socio-économiques, ces approches reconnaissent l'existence d'effets disruptifs massifs attachés à la diffusion des plateformes numériques. Il en résulte de nouvelles formes d'organisation de l'activité économique, fort éloignées des représentations théoriques classiques de l'industrie, notamment aux niveaux de l'identité et des comportements des acteurs économiques impliqués. Ainsi présentée, la plateforme peut être considérée comme l'objet d'une « crise des représentations théoriques » et nous conduit à formuler la question suivante : les outils d'analyse élaborés par la théorie économique sont-ils à-même d'appréhender les enjeux politiques – particulièrement ceux de la distribution des pouvoirs - issus du développement des différents modèles d'affaire de ces plateformes ? En nous appuyant sur une approche monographique, le propos de cette contribution est de dresser un panorama de la manière dont les différentes théories économiques ont appréhendé et interprété les bouleversements profonds observés au sein du secteur de la mobilité en France. Nous insisterons plus particulièrement sur l'importance des relations de pouvoir appréhendées au regard de notre enquête de terrain pour tenter de comprendre la manière toute particulière dont les plateformes changent les règles de fonctionnement des marchés, en particulier au travers les algorithmes de fixation du niveau des prix.