Les rares réflexions de Karl Marx au sujet de la société socialiste sont imprégnées de la volonté de se prémunir de l'idéalisme du socialisme utopique. Marx pense l'émancipation à partir de la critique de la théorie économique classique et de la mise au jour des limites du libéralisme politique. Cet article montre en quoi John Stuart Mill est un auteur problématique pour cette double critique marxiste du libéralisme et de l'économie politique classique. Tout en radicalisant un certain nombre de conclusions issues de l'économie ricardienne et en affirmant le caractère provisoire des rapports de production de son époque, Mill demeure prudent : il vise un dépassement du salariat par le développement graduel des coopératives de production et se tient à grande distance du socialisme révolutionnaire qu'il considère d'ailleurs comme « davantage un produit du continent que de la Grande-Bretagne ».
ABSTRACT: Karl Marx's sparse reflections on the topic of a socialist society are imbued with the intention to safeguard it from the idealism of utopian socialism. Marx's idea of emancipation initially derives from a critique of classical economic theory and a questioning of the limits of political liberalism. This paper shows that John Stuart Mill was a troublesome author for this double Marxist critique of liberalism and classical political economy. Mill radicalized some conclusions of the Ricardian political economy and regarded production relations of his time as provisional while remaining cautious on the matter of socialism: he sought the abolition of wage system by gradual development of production cooperatives, but he kept the notion of revolutionary socialism at a firm distance because he considered it to be "more a product of the Continent than of Great Britain".