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International Conference - Lille, France (3-5 July 2019)

Envisioning the Economy of the Future, and the Future of Political Economy

Papers > By author > Badaire Quentin

Penser la puissance de la finance et ses paradoxes avec Gilles Deleuze et Félix Guattari : vers un tournant deleuzo-guattarien de la théorie financière et monétaire ?
Quentin Badaire  1@  
1 : Pays germaniques , histoire - culture - philosophie  (PG,HCP)  -  Website
CNRS : UMR8547, École normale supérieure [ENS] - Paris
Pavillon Pasteur 45 Rue d'Ulm 75230 PARIS CEDEX 05 -  France

« Un, jour peut-être, le siècle sera deleuzien » écrivait Foucault en 1970. Près d'un demi-siècle plus tard, on pourrait se demander si cette prophétie n'est pas en passe de devenir réalité. Depuis plusieurs années, on assiste à un considérable renouveau d'intérêt pour la philosophie de Deleuze et Guattari. De nombreux économistes, philosophes, sociologues entreprennent de relire L'Anti-Œdipe et Mille Plateaux pour penser la finance et la monnaie sur un autre mode que la théorie financière orthodoxe. Dans ce cadre qui dessine ce que nous proposons d'appeler un tournant « deleuzo-guattarien » en économie, nous voudrions proposer une réflexion sur la puissance de la finance et ses paradoxes, en revenant sur la façon dont Deleuze et Guattari interprètent la théorie postkeynésienne circuitiste de Bernard Schmitt et la théorie marxiste de la monnaie de Suzanne de Brunhoff. En effet, c'est en partant de la distinction des deux formes de monnaie : monnaie-financement ; monnaie-paiement, reprise par nos deux philosophes, que nous souhaiterions rendre compte de deux paradoxes mis en lumière par eux : le premier qui veut que ce soit « toujours du fond de son impuissance que chaque centre de pouvoir tire sa puissance » (Deleuze & Guattari 1980, p. 276) ; le second qui veut que la tendance à la déterritorialisation inhérente au capitalisme financier contemporain s'accompagne nécessairement de reterritorialisations violentes et compensatoires, qui passent (notamment) par l'Etat. Pour ce faire, il nous semble indispensable, au préalable, de rappeler comment Deleuze et Guattari conçoivent de façon absolument originale le capitalisme, en le traitant comme une « axiomatique mondiale » aux « modèles de réalisation » étatiques très divers, c'est-à-dire comme un système complexe de rapports différentiels entre flux décodés et déterritorialisés. Parce que c'est au niveau de ces rapports différentiels que se révèle l'asymétrie de puissance entre flux. Pour autant, on aurait tort de croire que la puissance supérieure du capital financier (comme flux nomade) implique une domination absolue sur les autres flux. « Quand on projette aux limites de l'univers une image de maître, une idée d'Etat ou de gouvernement secret, comme si une domination s'exerçait sur les flux [...] on tombe dans une représentation ridicule et fictive. [...] Les capitalistes peuvent maîtriser la plus-value et sa répartition, ils ne dominent pas les flux dont la plus-value découle. » (ibid.). L'intérêt de la philosophie deleuzo-guattarienne de ce point de vue est justement de nous permettre de saisir comment cette axiomatique ne peut fonctionner qu'en supposant et suscitant des flux (de désir, de monnaie) qui lui échappent, flux qu'elle parvient en partie à capturer et à convertir mais qui menacent toujours de la déborder. Pour illustrer ce point, nous prendrons comme exemples, les interventions de la Banque centrale européenne, depuis le début de la crise de la zone euro, mais aussi les monnaies complémentaires et autres crypto-monnaies. De fait, ces dernières, au travers de leur architecture et fonctionnement rhizomatiques, témoignent de possibilités de déterritorialisation et de reterritorialisation inattendues, c'est-à-dire d'une puissance de remise en question de l'axiomatique capitaliste dont il convient de mesurer l'ampleur.


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