L'entrepreneur schumpétérien est l'agent qui impulse le processus capitaliste par l'introduction d'innovations. Mû par des motifs étrangers à la rationalité économique, l'agir de l'entrepreneur relève de la « joie de créer », de la volonté de « fonder un royaume », vivant l'économie comme un « sport de combat », une « course ». Tour à tour boxeur impétueux et véritable Don Quichotte des fonctions de production, l'entrepreneur s'inscrit dans un processus créatif par lequel émerge la nouveauté technique, organisationnelle, de débouchés, etc., qui bouleverse les structures économiques et sociales existantes. La « chevauchée » de l'entrepreneur n'est pas réductible à des motifs économiques rationnels ou à des calculs coût-avantage dans la perspective d'un retour sur investissement mais relève du régime du don, de la gratuité et d'une certaine forme d'agir sans attente de retour : l'entrepreneur « crée sans répit, car il ne peut rien faire d'autre ». Néanmoins, il est bien l'agent à l'origine d'une économie capitaliste fondée, selon Schumpeter, (1) sur la propriété privée des moyens de production, (2) sur la production d'initiative privée motivée par la perspective de profits privés et (3) sur le phénomène du crédit. Le capitalisme relève quant à lui de l'économie, c'est-à-dire d'un régime d'appropriation qui exclut toute forme de don et de gratuité. La question de l'émergence de la nouveauté chez Schumpeter soulève une tension apparente entre un régime du don et un régime d'appropriation que ce papier entend questionner pour mettre en lumière les ambivalences de l'acte créatif en économie.